Moscou, médiateur entre Pyongyang et Washington ?
Alors que les négociations sur le nucléaire entre les États-Unis et la Corée du Nord sont dans l’impasse, la Russie souhaite jouer un rôle diplomatique plus important dans le processus de désarmement nucléaire de la péninsule coréenne.
Après l’échec du sommet d’Hanoï (Vietnam) avec Trump, Kim Jong-un a rencontré Vladimir Poutine jeudi 25 avril à Vladivostok (Russie). Lors d’un sommet sans précédent, le dirigeant nord-coréen s’est longuement entretenu avec son homologue russe. Pendant plusieurs heures, ils ont évoqué la dénucléarisation de la Corée du Nord, la position des États-Unis à ce propos et les sanctions internationales qui pèsent sur le régime nord-coréen. Rappelant la primauté du droit international, Vladimir Poutine a proposé la réouverture des “pourparlers à six”.
Pyongyang critique les États-Unis
Deux mois après Hanoï, Kim Jong-un était venu chercher un appui international dans son bras de fer avec Washington. Il s’est dit prêt à prendre des mesures pour l’abandon de ses armes nucléaires, en échange d’une moindre isolation. Vladimir Poutine a rappelé la position russe : donner à Pyongyang des garanties internationales en matière de sécurité pour l’encourager à renoncer à l’arme nucléaire. Si le sommet de jeudi s’est achevé sans déclaration commune, les images comptaient peut-être autant que les mots. Plus qu’une coopération réelle, ce sommet était affaire de symbolique diplomatique. Par sa rencontre avec Poutine, Kim Jong-un apporte un contrepoids à la tactique intransigeante de l’administration Trump.
Le processus de négociation entre Pyongyang et Washington est aujourd’hui plus fragile que jamais il ne l’a été en 2018. Si Trump a salué le vendredi 26 avril, « l’aide » de Moscou, Kim Jong-un a vivement critiqué la « mauvaise foi » des États-Unis dans les négociations. Depuis Hanoï, la Corée du Nord a exprimé sa frustration face à Washington en effectuant de nouveaux tirs de missile. Elle accuse le conseiller à la sécurité nationale de Trump, John Bolton, et le secrétaire d’État Mike Pompeo, d’avoir saboté les négociations sur le nucléaire. Kim Jong-un a prévenu que la paix et la sécurité dans la péninsule coréenne dépendait entièrement de l’attitude des États-Unis.
La dénucléarisation au cœur du problème
La stratégie de diplomatie personnelle des États-Unis est remise en question. Donald Trump avait tout misé sur sa « relation privilégiée » avec Kim Jong-un, personnalisant à l’extrême les négociations entre les États-Unis et la Corée du Nord. Si cette stratégie avait été considérée comme le socle d’une dynamique inédite entre les deux États, elle avait déjà montré ses limites lors du sommet de Singapour, en juin 2018. Trump s’était alors targué d’avoir mis fin à la « menace nucléaire nord-coréenne ». Les deux camps ont cependant découvert qu’ils avaient une définition différente du terme « dénucléarisation ». Presqu’un an plus tard, cette divergence existe toujours.
Il est toutefois incorrect de dire que Kim s’est précipité dans les bras de Poutine car il a échoué avec Trump. L’invitation de Vladimir Poutine remonte à mai 2018. Les préparatifs du sommet ont débuté en novembre et les deux dirigeants devaient coordonner leurs emplois du temps. De plus, les sommets d’Hanoï et de Vladivostok présentaient des objectifs et des modèles d’interactions différents. Il était cependant clair, dès le début, que le sommet russo-nord-coréen, perçu comme une réunion de travail, se tiendrait sans déclaration commune.
La reprise des pourparlers à six
La Russie veut rappeler à toutes les parties qu’elle est un acteur majeur de la sécurité dans la péninsule coréenne. Comme le mentionne le paragraphe 89 de son Concept de politique étrangère de 2016, la dénucléarisation de la Corée du Nord est un objectif déclaré. La Russie a en effet tout intérêt à empêcher la Corée du Nord de proliférer. Outre le risque d’accidents, Moscou redoute les risques de conflit militaire dans la péninsule coréenne. Les États-Unis auraient ainsi un prétexte légitime pour renforcer leur présence militaire dans la région, aux portes de la Russie.
Poutine prône une solution suivant une feuille de route définie par la Russie et la Chine en 2017. Il a également proposé la création d’un cadre multilatéral destiné à garantir la sécurité de la Corée du Nord. Dans l’esprit du président russe, la tenue des “pourparlers à six” pourrait s’intégrer dans ce cadre. La Russie souhaite en effet intégrer la Corée du Nord au sein de négociations à long terme. Elle veut par ce biais amener des garanties de sécurité à la Corée du Nord, afin de discuter plus sereinement.
Le président russe a insisté sur la nécessité de rétablir des mesures de confiance avec la Corée du Nord. « Le plus important est de restaurer (…) la force du droit international et de revenir à une situation où le droit international, et non pas le droit du plus fort, détermine le cours des affaires dans le monde », a-t-il plaidé.
La Russie en médiatrice
La Russie a tenu à se présenter comme un « facilitateur » dans les négociations avec Pyongyang. Moscou essaie de jouer le rôle de médiateur entre Washington et Pyongyang et d’amener toutes les parties à discuter. Soulignant que la Russie et les États-Unis avaient un intérêt commun à empêcher la prolifération nucléaire, que ce soit en provenance de Corée du Nord ou d’ailleurs, Vladimir Poutine a déclaré qu’il était prêt à partager les détails du sommet avec les États-Unis. Cela renforcerait l’influence de la Russie sur l’impasse de la dénucléarisation nord-coréenne.
Le sommet de Vladivostok n’était qu’une première étape dans les discussions russo-nord-coréennes. Kim Jong-un a invité Poutine à effectuer une nouvelle visite en Corée du Nord, ce que le président russe a accepté. Le président sud-coréen, Moon Jae-in, a salué ce rapprochement. Il espère que ce sommet jettera les bases de la reprise des pourparlers avec Pyongyang. Il a déclaré croire que le sommet Russie-Corée du Nord jouerait un « rôle constructif » dans les efforts pour parvenir à la dénucléarisation complète et à une paix durable dans la péninsule coréenne. Alors que les négociations sur le nucléaire entre les États-Unis et la Corée du Nord sont dans l’impasse, la Russie souhaite jouer un rôle diplomatique plus important dans le processus de désarmement nucléaire de la péninsule coréenne.